Intervention de Pierre NOUZAREDE secrétaire général de la FTIP en 1983.
Posté par cgtchapelledarblayupm le 27 septembre 2013
Intervention de Pierre NOUZAREDE secrétaire général de la FTIP
(fédération des travailleurs des industries papetières) en 1983.
Chers camarades, chers amis, Mesdames, Messieurs,
3 semaines après Saint Etienne du Rouvray, nous voici à nouveau réunis avec les travailleurs de Grand-Couronne, et à côté d’eux un bon nombre de militants de Saint-Etienne pour marquer le 30e anniversaire de la formidable lutte menée par les Chapelle Darblay, particulièrement sur ses deux sites normands.
D’autres camarades dont Marc Peyrade, SG de la Filpac CGT, Gérard Sénécal, secrétaire du syndicat, vont situer dans le contexte d’aujourd’hui les enseignements de cette lutte. Je m’en tiendrai donc à quelques traits, qui ont fortement enrichi mon expérience militante.
Comme beaucoup de militants ici présents, j’ai vécu jour après jour cette lutte épique.
En fait cette période du début des années 80, marquée par l’arrivée de la gauche au pouvoir après plus de 20 ans d’abstinence, nous promettait beaucoup. En vérité, des avancées ont pu être enregistrées tant sur le plan social que démocratique : droits nouveaux, nationalisations, retraite, réduction du temps de travail…
Une aube nouvelle, certes nous le croyions à l’époque, vite obscurcie par les premiers renoncements face à l’offensive du patronat, au pouvoir de l’argent et toute son emprise internationale.
Le début des années 80 marque également la fin, ou à tout le moins une pause dans le cycle de recul et de casse de l’industrie papetière. De grandes luttes avaient marqué la période précédente, comme la cartonnerie La Rochette Cenpa, près de Nancy, La Roche Joubert en Charente, La Cellulose de Strasbourg, et bien d’autres encore que je ne saurais citer ici.
C’était l’époque où dans les cercles du pouvoir, chez les patrons papetiers démissionnaires, on s’accordait à proclamer que la « France n’avait pas de vocation papetière ». C’est également l’époque des attaques qui se soldèrent par sa liquidation du système d’approvisionnement en papier journal de la presse française, avec la Société professionnelle des Papiers de Presse
Ces enjeux de production et d’approvisionnement en papiers de presse entraient dans les motifs des luttes qui se déroulèrent avant même 1983 à Saint-Etienne et Grand-Couronne. Ce sont toutes ces pesanteurs, aggravées par la soif d’en découdre avec un bastion de la CGT dans les industries papetières comme dans l’agglomération rouennaise, qui constituèrent autant de facteurs de promotion du plan Kyla, fortement appuyée par le ministre de l’Industrie de l’époque, Laurent Fabius : suppression de plus de 1500 emplois, avec la liquidation à court terme de Grand-Couronne.
Face à la mobilisation de masse des personnels de Saint-Etienne-du-Rouvray et de Grand-Couronne, mobilisation dont le poids fut décuplé par’ la conjonction d’un très large soutien des populations, de leurs élus, en particulier communistes, poids également décuplé par l’intervention solidaire des professions des papiers et du Livre, cette dernière ayant beaucoup investi avec ses militants présents sur place, tout cet amalgame de forces d’initiatives les plus audacieuses a fini par imposer une issue bien différente de celle décrétée au départ.
L’engagement très fort de la Confédération sous l’impulsion d’Henri Krasucki étant venu donner une dimension politique au sens noble du terme, qui permit de dépasser les blocages les plus persistants.
Je reviendrai donc pas sur ces jours de cent jours de lutte qui permirent que les travailleurs adoptent un accord de fin de conflit présentant les avancées obtenues et les conditions pour les mettre en œuvre. Mais je crois aussi nécessaire de souligner les semaines d’âpres discussions, pour finaliser l’accord officiel, régler la réintégration des militants et des élus CGT, les seuls faisant l’objet d’un ostracisme acharné de la part de Kyla et de ses successeurs, tel François Pinault avec Pierre Lebrun… J’ai le souvenir de discussions interminables à propos de Christian Stephan, dont Kyla était persuadé que sa non-réintégration marquerait la fin du syndicat CGT de Grand-Couronne.
J’ai également les souvenir de moments d’intense humanité. De ce camarade élu du personnel venu dire qu’il acceptait son licenciement pour être conforme à l’accord sur le nombre d’élus Cgt maintenus et qui très symboliquement me remis sa veste de travail imprimée du sceau de la lutte.
Alors trente ans après, quel est le bilan que je conserve de cette tranche de vie particulièrement intense ?
D’abord qu’elle a permis de bousculer l’ordre préétabli.
Que ce faisant elle donnait la possibilité dont ne voulaient pas les patrons, voire certains politiques de préserver des forces pour que le résultat obtenu soit préservé au-delà même de ce que comportait l’accord lui-même.
Le cas le plus flagrant fut celui des machines 3 et 4 de Saint Etienne du Rouvray dont il était dit qu’elles devraient arrêter dans les 4 ans et qui continuèrent de fabriquer du papier plus de 20 ans durant.
Je ne perds pas de vue les coups durs vécus par tous les travailleurs en lutte.
Je ne mésestime pas non plus l’amertume laissée par le résultat chez certains camarades qui considéraient non sans raison, qu’il n’était à la hauteur de leur engagement.
Autant l’agression fomentée par l’encadrement à Grand Couronne avec le concours massif des CRS et la réquisition forcée des travailleurs de cette usine fut préjudiciable.
Autant par la suite la division organisée à St Etienne du Rouvray aura empêché dans le rapport de force quotidien de mieux consolider les acquis de la lutte.
Malgré tout, malgré les réunions de militants qu’il fallait tenir en dehors de murs des usines au siège de l’Union Départementale à cause de la répression qui se poursuivait, les militants ont tenu, la C.G.T. a reconquis à St Etienne comme à Grand Couronne sa place de première organisation syndicale.
A Grand Couronne Kyla et tous les autres, en ont été pour leur frais puisqu’au jour hui s’y déploie un des plus dynamiques syndicats des industries papetières.
Et enfin par cette lutte menée par les Chapelle Darblay, les solidarités notamment professionnelles qu’elle a suscitées ont contribué de façon décisive à la création de la FILPAC CGT.
Alors sans triomphalisme aucun, je dis aujourd’hui que ceux qui ont fait cette épopée peuvent en être fier et qu’elle suscite des enseignements pour aujourd’hui et demain.
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