Stora Enso Corbehem: une longue attente pèse sur le moral des salariés… mais jusqu’à quand?
Jeudi, une délégation composée d’élus locaux et de membres de l’intersyndicale de Stora Enso Corbehem a pris le départ pour Helsinki, en Finlande. Elle est allée chercher auprès du PDG du groupe papetier Stora Enso une seule information : quel est l’avenir de la papeterie de Corbehem ?
Une réunion d’une heure et demie résumée en moins de dix phrases. « C’est ça le compte rendu », raconte un membre de l’intersyndicale, dubitatif. Longs murmures dans la salle du Châtelet, à Brebières, où avait lieu hier une assemblée générale des salariés de Stora Enso Corbehem. Il a fallu sans doute encaisser le coup, après avoir entendu ce qui n’est rien d’autre qu’une banalité : les participants à la réunion, dont deux élus locaux français (Pierre Georget, la président d’Osartis et le député Jean-Jacques Cottel), quatre salariés, et trois membres du staff de Stora Enso (dont le PDG Jouko Karvinen, « ont reconnu l’importance des difficultés rencontrées par Stora Enso Corbehem », et espèrent « trouver une solution positive et durable ». Stora Enso accompagnerait cette solution « positive et durable », et « toutes les parties coopéreront sur le sujet ». Une décision serait prise pour la fin de l’année 2013. Laquelle ?
Un syndicaliste se perd en conjectures : « Pour l’instant, tout est en cours. On (Stora Enso) ne communique pas. Ils savent qu’il y a un problème à Corbehem. » Micro en main, il n’en sait pas davantage que la centaine de salariés en face de lui, et c’est bien cette absence d’information qui pourrit le moral des papetiers. Ça fait un an que ça dure, depuis l’annonce, à l’automne 2012, de l’étude de l’opportunité de vendre Corbehem, ou pas. La seule avancée, en un an, c’est la certitude acquise que Stora Enso voulait vendre. Et puis plus rien. « Après la réunion de comité d’entreprise, on devait avoir une annonce au bout de quelques semaines. Maintenant, on doit attendre la fin d’année. Le 22 octobre, Stora Enso annonce ses résultats trimestriels, mais on ne saura rien », râle un autre syndicaliste, en aparté. Difficile, voire impossible, dans ces cas-là, d’établir une quelconque stratégie de défense des salariés, malgré la supplique d’un syndicaliste : « pas d’action isolée, on avance ensemble. » Pour faire quoi ? L’intersyndicale est venue chercher, à Brebières, les suggestions de salariés. Elle a surtout été confrontée à du désespoir. L’attente et les silences semblent bien trop lourds à supporter. Les témoignages convergent : « des gens ne sont pas bien. On est en situation plus que critique. » Un autre salarié : « La situation, ça fait un an qu’on la vit. On sait ce qui va se passer. » Un autre prédit : « Quoi qu’il arrive, il y aura des licenciements. Si on est repris, il ne faut pas crier victoire, il y aura des licenciements et il faudra se battre. »
En marge de l’assemblée générale, un syndicaliste se prend une gifle dans la figure, façon de parler : « des gens sont tellement mal qu’on aura des pendus. » Un homme en colère parle des « suicidaires », un autre dit en deux mots qu’il est déjà allé à l’hôpital… Il est assis à quelques mètres d’un homme, appuyé sur le mur, qui préfère hurler, et parler des actions coup de poing menées chez Goossens, à Marcq-en-Barœul : « Je vais faire pareil, je n’ai plus rien à perdre, j’en ai plus rien à foutre ! »
Pour l’intersyndicale, le mauvais moral des salariés est pris très au sérieux. Le cabinet Cecafi, qui avait été mandaté lors du droit d’alerte, a de nouveau été sollicité pour étudier les risques psychosociaux dans l’entreprise, au travers d’un dossier en quatre-vingt-dix-sept questions, remis à chaque salarié. Le rapport a été présenté hier après-midi en réunion de CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). « On va voir quelles mesures on peut mettre en œuvre », signale un syndicaliste. Dans la droite ligne de cette question des risques psychosociaux, une idée semble recueillir quelques suffrages : « Depuis un an, c’est du harcèlement qu’on nous fait. Avec les lois françaises, vous ne croyez pas qu’on pourrait porter plainte ? » L’idée devrait faire son chemin. Tout comme celle de soutenir en masse la délégation qui pourrait être reçue au conseil régional, à Lille.
La colère se manifeste à tous les étages : un homme quitte la salle, déçu par une mobilisation qu’il estime faiblarde. « Trois pelés un tondu ! », dit-il en se dirigeant vers la sortie. « On te sort les mêmes conneries qu’en 2006 (année d’une restructuration qui a vu la fermeture de deux machines à papier, et la suppression de 400 postes). On a fait grève et on nous dit qu’il y a des commandes. On nous dit qu’il y a un repreneur, qu’il faut se remettre au travail, faire tourner la machine. On a toujours assuré notre travail. On ne doit pas emmerder Stora Corbehem, mais les emmerder là-haut ! » Certains assurent que certaines commandes qui ne pourraient pas être assurées par l’usine de Corbehem seraient transférées vers une usine d’Allemagne. D’autres vivent la situation comme un piège qui se referme. « On est une grenouille dans de l’eau tiède. L’eau continue de chauffer et la grenouille finit par cuire… » illustre un salarié, encore contraint à l’attente.