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Près de Rouen, la lutte des «Pap Chaps»

Posté par cgtchapelledarblayupm le 23 novembre 2020

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Près de Rouen, la lutte des «Pap Chaps»

pour sauver leur papeterie écolo

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Les «Pap Chaps», délégués syndicaux de la papeterie La Chapelle-Darblay, à Grand-Couronne, près de Rouen, le 19 novembre. Photo Jean-Pierre Sageot pour Libération

A Grand-Couronne, en Seine-Maritime, les salariés font pression pour faire perdurer le site Chapelle-Darblay spécialisé dans le recyclage du papier. Si aucun repreneur n’est trouvé d’ici à 2021, l’usine presque centenaire et unique dans l’Hexagone sera démantelée.

«Là, on pourrait produire des bobines de papier ondulé destinées à l’emballage, ici de la pâte marchande recyclée, là-bas de la ouate pour l’isolation. Il faudrait redémarrer notre chaudière biomasse [fonctionnant avec les déchets de l’usine], qui produit de l’électricité et dont le surplus est racheté. Une entreprise de transformation du carton pourrait s’installer ici, on se partagerait l’eau et l’énergie. Ce serait un bel exemple de synergie industrielle !» plaide Arnaud Dauxerre, en parcourant du doigt les 33 hectares du site devant lui. Le représentant des cadres de la papeterie de La Chapelle-Darblay, près de Rouen, a presque des allures d’agent immobilier. Il fait partie des quelques «irréductibles» encore sur place, mobilisés pour trouver un repreneur d’ici à juin 2021, faute de quoi l’usine sera démantelée.1348786-prodlibe-2020-1699-papeterie-chapelle-darblay

Il y a peu, l’établissement absorbait environ 300 000 tonnes annuelles de papier, magazines et journaux issus du tri sélectif des Franciliens et du Grand Ouest. Il en sortait uniquement du papier journal 100 % recyclé, procédé maison mis en place dès 1999. L’usine était la seule en France détentrice de ce savoir-faire. Mais la chute des ventes de la presse papier, encore accentuée par la crise du coronavirus, a poussé le propriétaire finlandais UPM à fermer le site de 280 salariés. Et ce malgré les 16 millions d’euros de bénéfices encore dégagés en 2019. Face au «déclin structurel» de la demande en papier journal, UPM a ciblé «les lignes de production les moins compétitives», dont la Chapelle-Darblay. La loi Économie circulaire, publiée en février, va pourtant imposer dès 2021 des taux plus élevés de papier recyclé dans les journaux, ce qui aurait permis à l’usine de tirer son épingle du jeu en France. Seulement UPM a une vision européenne du marché. La revente du site «permettrait de sauvegarder la compétitivité globale du Groupe et de soutenir sa croissance sur le long terme», explique le Finlandais dans un communiqué.

«Des raisons d’y croire»

Les effectifs dits non-essentiels ont été licenciés en juillet. Ne restent que quelques poignées de salariés protégés et de travailleurs indispensables à la maintenance, la sécurité et l’administration du site. «On se résoudra à l’évidence qu’il faut fermer si on nous prouve que tout a été tenté. On ne veut pas tourner la page, on veut en écrire une nouvelle», explique Arnaud Dauxerre, depuis le noyau dur de cinq personnes qui nous reçoit sur place. «Ici, pas de blocages et de feux de palettes. On réfléchit, on essaie de faire bouger les choses», poursuit Cyril Briffault, délégué syndical CGT, très implanté à La Chapelle-Darblay. Patrice Lefebvre, technicien de maintenance, mécanique, à la papeterie La Chapelle-Darblay, le 19 novembre. Photo Jean-Pierre Sageot pour Libération

1348789-prodlibe-2020-1699-papeterie-chapelle-darblayMalgré l’avenir incertain, l’ambiance est bon enfant chez ceux que l’on surnomme les «Pap Chaps». Ils jugent «inconcevable» qu’une entreprise française de la filière recyclage ne puisse pas être sauvée. La publicité serait mauvaise pour le gouvernement, qui parle d’économie circulaire et de relocalisations à tout va. Les derniers salariés planchent sur de nouvelles pistes de développement, font réaliser des études techniques et financières pour proposer un projet clé en main, maintiennent la pression, répondent aux coups de fil. Parfois, ce sont d’éventuels repreneurs. Ils sont alors transférés vers Business France (agence chargée d’accompagner les entreprises françaises) et l’Agence du développement pour la Normandie, en charge de réceptionner les candidatures depuis la fin de l’été. «Il y a des marques d’intérêt», dit mystérieusement Julien Sénécal, secrétaire CGT au CSE de l’entreprise, qui a «des raisons d’y croire» au vu des prises de contact récentes.

Garder la fibre écolo

Avant l’été, le grand cabinet d’audit Ernst&Young avait échoué à trouver un investisseur aux reins solides. Le groupe belge VPK s’est un temps positionné puis s’est désisté pendant la crise sanitaire, après de vaines négociations. Dans le Rouennais, La Chapelle-Darblay a du mal à se défaire de son image peu attrayante : celle d’une vieille usine en sursis qui a connu des plans sociaux dans les années 80 et en 2015. Mais dans le milieu papetier, elle est réputée pour les innovations qui ont marqué ses 90 ans d’existence.

David Dal Zotto, conducteur d’engin, à la papeterie La Chapelle-Darblay. Photo Jean-Pierre Sageot pour Libération

«Les gens n’ont pas réalisé le virage que nous avons pris. Nous sommes devenus un emblème du recyclage. Nous ne sommes pas un papetier sale et has been, se défend Arnaud Dauxerre. On est décarbonés, on fait du transport fluvial, on recycle 98 % de nos déchets.» Les Pap Chaps sont prêts à abandonner le journal 100 % recyclé, mais veulent garder la fibre écolo. L’idée d’accueillir un acteur étranger ne leur fait pas peur, à condition de rester dans l’économie circulaire et de contribuer au dynamisme du territoire.

En attendant le repreneur rêvé, l’outil industriel est en veille, prêt à être relancé. Dans la «cathédrale du désencrage et du recyclage», l’immense machine à papier ne casse plus les oreilles. Les boutons sont toujours allumés, le système de ventilation aussi pour éviter l’oxydation. Seul un bruit de pneu percé chatouille les tympans. Les montagnes de papier ont, elles, disparu.

En attente d’un signal politique1348787-prodlibe-2020-1699-papeterie-chapelle-darblay

«Tout le monde se bouge», assure Stéphane Panou, président de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec) papiers-cartons, membre de la commission industrielle préfectorale mise en place pour réunir acteurs de la filière, élus locaux et services de l’Etat sur le dossier de La Chapelle-Darblay. Il est convaincu que le site a une carte à jouer dans l’emballage carton, dont la demande est en hausse. «Partout en Europe les usines fleurissent, mais pas en France», pointe-t-il. Pour se repositionner dans ce secteur, le repreneur de Chapelle-Darblay devrait ainsi investir pour modifier au moins une des deux machines du site.

Pour soutenir l’idée d’une reconversion et envoyer un signal aux investisseurs, les Pap Chaps demandent une visite officielle du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. Ils se souviennent du bon vieux temps, en 2014, où ce dernier qualifiait l’usine de «fleuron industriel». Il suit le dossier, a fait recevoir une délégation de salariés à Bercy, mais ne s’est pas montré en personne.

L’Etat est jusqu’à maintenant resté discret sur cette affaire alors qu’elle s’intègre dans sa politique d’économie circulaire. Les salariés rêveraient de bénéficier de la même attention et médiatisation que ceux de l’usine Bridgestone de Béthune, beaucoup plus nombreux. Ils ont tout de même déjà reçu le chef de la CGT Philippe Martinez et le collectif «Plus jamais ça» qui veut «construire un monde d’après solidaire, écologique et démocratique».

Arnaud Dauxerre, cadre, à la papeterie La Chapelle-Darblay, le 19 novembre. Photo Jean-Pierre Sageot pour Libération

Le député européen écolo David Cormand demande, lui, une nationalisation, même temporaire, de l’usine. Elle n’a pas été évoquée par l’Etat. Chez les Pap Chaps, l’idée divise. Ils préféreraient que le gouvernement oblige UPM à céder son site à une structure provisoire, de type société d’économie mixte. Mais le temps presse. La Chapelle-Darblay vit peut-être ses derniers jours de lutte sur place. Dès ce lundi, les lettres de licenciements visant les salariés protégés pourraient tomber dans les boîtes aux lettres. Les «irréductibles» n’auraient alors plus d’accès à l’usine, dont la maintenance serait prise en charge par les services de l’Etat, ni aux coups de fil galvanisants. Malgré cela, ils ne sont pas près de lâcher d’ici juin 2021.

 

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