Son nom n’était pas dans la liste des favoris. Sophie Binet a été élue le vendredi 31 mars secrétaire générale de la CGT, réunie depuis le début de la semaine en congrès à Clermont-Ferrand. À 41 ans, elle devient la première femme à endosser la fonction depuis la création du syndicat, il y a 128 ans.
L’actuelle secrétaire générale de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (Ugict-CGT) succède à Philippe Martinez, en poste depuis 2015, avec 86 % des voix. Jusque-là chargée de l’égalité femmes-hommes au sein de l’organisation, elle a très vite fait du féminisme son mot d’ordre, et a même cosigné avec Rachel Silvera et Maryse Dumas Féministe à la CGT ? Les femmes, leur travail et l’action syndicale (éditions de l’Atelier, 2019). Un symbole fort pour une organisation récemment critiquée pour son manque de cadre sur la question des violences sexistes et sexuelles.
Sophie Binet incarne aussi une frange plus écologiste. À l’Ugcit, elle a par exemple mis en place un « radar travail et environnement » visant « à donner à l’ensemble des salariés et des fonctionnaires les moyens de peser sur la transformation écologique de leur entreprise ou collectivité ».

- L’idée d’élire une cadre n’était pas évidente pour les fédérations majoritairement ouvrières de la CGT. Ici, des syndiqués de la centrale nucléaire de Saint-Alban en soutien le 30 mars à des éclusiers en grève. © Moran Kerinec / Reporterre
Au début du congrès, l’avenir de la centrale semblait se jouer entre Marie Buisson, soutenue par Philippe Martinez, et Céline Verzeletti. L’élection de Sophie Binet ne faisait pas l’unanimité, certains ne percevant pas d’un bon œil son mandat de représentante des cadres dans une organisation symbole de défense des travailleurs.
Pour Denis Gravouille, membre de la direction confédérale et secrétaire général de la CGT Spectacle, c’est au contraire ce qui a fait sa force : « Son profil transversal couvrant de nombreux secteurs comme l’énergie ou les cheminots lui a permis d’être plus rassembleur. »
Des alliances remises en question
Avec 86 % des voix, son élection est le fruit d’un consensus entre une frange reprochant un manque de démocratie et celle aspirant à davantage d’offensivité. Voté durant le congrès, un amendement a d’ailleurs supprimé dans le texte d’orientation l’appartenance à plusieurs collectifs, dont la coalition Plus jamais ça qui regroupe plusieurs associations écologistes (Oxfam, les Amis de la Terre, Greenpeace…). Le motif déclaré ? Des reproches sur l’absence de débat interne autour de cette alliance.
Il s’agit en réalité d’une suspension provisoire le temps qu’une discussion sur l’intérêt d’en faire partie soit organisée. Cyril Briffault, délégué syndical CGT de la Papeterie Chapelle Darblay, y perçoit davantage une question de « posture ». « À mon sens il ne serait pas souhaitable de sortir de la coalition, dit-il. Mais un débat sur le sujet sera bien sûr salutaire. »

- Le texte d’orientation voté remet en débat la stratégie de coalition de la CGT avec d’autres organisations syndicales et écologistes. © NnoMan Cadoret / Reporterre
Avant la CGT, Sophie Binet a été membre du bureau national de l’Unef et a fait ses armes militantes en 2006 contre le Contrat première embauche (CPE). Avant de devenir elle-même une CPE — conseillère principale d’éducation. Et de rejoindre le bureau confédéral de la centrale en 2013.
En pleine mobilisation contre la réforme des retraites elle aura la lourde tâche d’unir un syndicat divisé sur le bilan de son prédécesseur. À peine élue, Sophie Binet a d’ailleurs livré un discours destiné à rassembler : « Notre congrès a été très difficile, violent parfois. Et c’est important de dire que cette violence n’a pas sa place dans les rapports militants. Et il faut que l’on travaille ensemble pour la faire disparaître. » Celle-ci a également appelé à ne pas perdre de vue une certaine « culture du débat » chère à l’organisation, « à l’image de ce que l’on sait faire dans nos luttes ».

- La nouvelle secrétaire générale de la CGT, élue en plein mouvement social, sera particulièrement observée dans sa capacité à préserver l’unité de la centrale syndicale. © Alexandre-Reza Kokabi / Reporterre
Pierre angulaire des orientations votées par 72 % des voix : montrer que les combats contre le chaos climatique et les inégalités sociales s’entremêlent. « Il faut transformer l’outil productif pour répondre aux enjeux environnementaux à partir de nos enjeux syndicaux quotidiens », a-t-elle insisté.
Face à l’« alarmant » rapport de synthèse du Giec publié le 20 mars et « passé sous silence », elle a fustigé un « capitalisme » destructeur de notre planète : « Ça n’est plus possible », a-t-elle dit.
« Devoir d’exemplarité »
En matière d’égalité femmes-hommes et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la CGT a « un devoir d’exemplarité », a-t-elle insisté. Le deuxième syndicat de France vient d’ailleurs de publier une charte ambitieuse sur le sujet.
Avant de conclure sur la lutte contre la réforme des retraites et d’emporter la foule de la Grande Halle d’Auvergne : « Ce qui nous rassemble à la CGT, c’est que l’on ne lâche rien. » Son baptême du feu se tiendra d’ores et déjà aux côtés de l’intersyndicale ce mercredi 5 avril à Matignon, en réponse à l’invitation d’Élisabeth Borne.